Textes remarquables

Victor HUGO Discours contre la loi Falloux 15 janvier 1850

Je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l’Etat, par le clergé, l’enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Eglise chez elle, l’Etat chez lui.

Nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. C’est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux: l’ignorance et l’erreur. C’est lui qui a fait défense à la science et au génie d’aller au-delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est inscrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est inscrite au verso. Il s’est opposé à tout.

C’est lui qui a fait battre de verges Prinelli pour avoir dit que les étoiles ne tomberaient pas. C’est lui qui a appliqué à Campanella vingt-sept fois la question pour avoir affirmé que le nombre des mondes était infini et entrevu le secret de la création. C’est lui qui a persécuté Harvey pour avoir prouvé que le sang circulait. De par Josué, il a enfermé Galilée . De par Saint-Paul, il a emprisonné Christophe Colomb. Découvrir la loi du ciel, c’était une impiété, trouver un monde, c’était une hérésie. C’est lui qui a anathémisé Pascal au nom de la religion, Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion.

Oh oui, vous qui vous appelez le parti catholique et qui êtes le parti clérical, nous vous connaissons. Voilà longtemps déjà que la conscience humaine se révolte contre vous et vous demande: qu’est-ce que vous nous voulez ?

Voilà longtemps que vous essayez de mettre un bâillon à l’esprit humain.

Et vous voulez être les maîtres de l’enseignement ! Et il n’y a pas un poète, pas un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur que vous acceptiez ! Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par des génies, le trésor de la civilisation, l’héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! Si le cerveau de l’humanité était là, devant vos yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, vous y feriez des ratures.

L’Inquisition, que certains hommes du parti essayent aujourd’hui de réhabiliter avec une timidité pudique dont je les honore; l’Inquisition, qui a brûlé sur le bûcher ou étouffé dans les cachots cinq millions d’hommes ! Lisez l’histoire ! L’Inquisition, qui exhumait les morts pour les brûler comme hérétiques, témoins Urgel et Arnault, comte de Forcalquier. L’Inquisition, qui déclarait les enfants des hérétiques, jusqu’à la deuxième génération, infâmes et incapables d’aucuns honneurs publics, en exceptant seulement, ce sont les propres termes des arrêts, ceux qui auraient dénoncé leur père ! L’Inquisition qui, à l’heure où je vous parle, tient encore dans la bibliothèque vaticane les manuscrits de Galilée clos et scellés sous le scellé de l’index ! Il est vrai que, pour consoler l’Espagne de ce que vous lui ôtiez et de ce que vous lui donniez, vous l’avez surnommée la Catholique.

Abbé LEMIRE Séance du 11 décembre 1921

Le propre de l’école de l’Etat, c’est, qu’étant payée par l’argent de tous, elle doit être respectueuse des convictions de tous. Je dis que, si exceptionnellement sur un point quelconque, elle ne l’était pas, c’est à vous de réclamer après en avoir fait la preuve. Nous donnons de l’argent de l’Etat aux écoles qui doivent être ouvertes à tous. Nous vivons dans un pays où, je le répète, l’Ecole Publique n’est pas l’école de quelques-uns, mais l’école de tout le monde et c’est pourquoi nous ne pouvons pas assimiler l’enseignement tel qu’il est organisé en France à l’enseignement tel qu’il est organisé ailleurs, en BELGIQUE ou en AMERIQUE, là où il est abandonné à des particuliers, des associations, à des groupements de toutes sortes, entre qui on peut répartir de l’argent.

Mais nous vivons, au point de vue de l’enseignement, sous un régime de centralisation et d’unité qui convient à la République une et indivisible. Aussi longtemps que ce régime subsistera, il ne faut ni directement, ni indirectement y porter atteinte.

Le jour où nous entrerons dans la voies des bourses données pour une école quelconque, nous ouvrirons forcément la porte à d’autres réclamations. Nous préparerons des luttes qui s’engageront, au nom du même principe, sur un autre terrain.

Jean JAURES Discours de 1906

La Chambre vient de voter, à une majorité de cent voix, la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat. La majorité républicaine qui a voté la loi de Séparation comprend des républicains modérés comme MM BARTHOU et DESCHANEL et des républicains d’extrême-gauche, parmi lesquels les socialistes. La loi que la Chambre a votée laisse la liberté à tous les cultes, elle permet à tous les citoyens de croire et de pratiquer la religion de leur choix.

Encore quelques mois, et vous verrez que la loi de laïcisation de l’Etat est une loi de liberté et vous pourrez constater par vous-mêmes que les cléricaux mentent impudemment lorsqu’ils prétendent qu’elle est une loi de persécution qui n’a été faite que pour détruire la religion.

La plus perfide manoeuvre des ennemis de l’école laïque, c’est de rappeler à ce qu’ils appellent la neutralité, et de la condamner par là à n’avoir ni doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale. En fait, il n’y a que le Néant qui soit neutre.

Henri PENA-RUIZ Philosophe

La laïcité délivre la sphère publique de toute tutelle et de toute fermeture dogmatique. Dans la bouche de certains détracteurs de la laïcité, « ouvrir la laïcité » signifie restaurer des emprises publiques pour les religions. Une confusion est faite entre l’expression des religions dans l’espace public et l’emprise des religions sur l’espace public. La première est compatible avec la laïcité, comme l’est aussi l’expression des humanismes athées dans l’espace public. La seconde ne l’est pas, car elle consacre un privilège, bafoue la distinction juridique privé-public et compromet l’universalité de la sphère publique.

L’Etat laïque n’est pas neutre lorsqu’il s’agit de choisir entre liberté et asservissement ou mise en tutelle, égalité et discrimination, intérêt général et intérêt particulier.

Ceux qui prétendent que la neutralité laïque brouille toutes les valeurs et prive les hommes de tout repère font donc un mauvais procès, sans doute pour suggérer qu’en dehors de la référence religieuse il n’y a que néant et désenchantement au sens éthique.

Charles COUTEL Philosophe- Doyen de la faculté de droit de DOUAI

« La laïcité, la loi aujourd’hui, demain » Conférence donnée à Raismes le 9 décembre 2005

La loi de 1905 est une loi de modération. Elle est le parachèvement de 10 années de lutte. Les auteurs de cette loi ont mesuré en la concevant l’importance de la loi qu’ils votaient. Il fallait que la décision soit unilatérale pour éviter les compromissions. Tant qu’il n’y avait pas de séparation, on était dans le flou. Il s’agit d’une libération mutuelle organisée entre l’Eglise et la République. Elle a permis aux catholiques de ne pas se prendre pour des martyrs. Relire les propos de Charles PEGUY relatifs à cette loi.

C’est le résultat d’un très long travail parlementaire. Il a fallu lutter à la fois contre les cléricaux et les anti-cléricaux. La loi a été adoptée par 341 voix contre 230.

Cette loi achève de républicaniser la République (anticlérical n’est pas antireligieux – est clérical celui qui veut absolument convertir). Dans la loi de 1905, il s’agit de liberté de conscience. Il y a rupture avec l’équilibre hypocrite du Concordat. C’est donc une loi historique.

C’est une loi de remémoration: elle nous pousse à un travail de mémoire, à un travail de culture et de remise en cause du sujet, à une remise en question de nous-mêmes. Par Jean JAURES et les autres, c’est l’esprit des lumières qui nous parvient. C’est une loi actualisante, elle reprend les étapes. Elle opère une révolution intellectuelle.

Le Concordat qui, d’une certaine façon arrangeait la République a été abandonné par les modérés. La loi va jusqu’au bout de l’Humanisme rationnel des Lumières. La loi de 1905 va jusqu’au bout de l’article 10 de la constitution qui suit la Révolution. C’est l’achèvement de l’édification de la République laïque.

Catherine KINTZLER Universitaire La laïcité de l’Ecole Publique

L’Ecole Publique est un organe d’Etat. A ce titre, bien entendu, elle est réglée par le principe de la réserve. Mais une difficulté apparaît: ce principe s’applique au personnel, en particulier aux maîtres et aux professeurs. Et les élèves ? Peuvent-ils jouir de la liberté civile en matière religieuse ?

Des demi-habiles disent: oui, il n’y a pas de raison… Demi-habiles, parce que c’est croire qu’avec deux concepts on a épuisé la question, on est dispensé de penser plus loin. En tout état de cause, on voit que la laïcité scolaire se présente sous forme de problème. Le clivage entre maîtres et élèves épouse-t-il le clivage entre fonctionnaire et administré, entre la puissance publique et la société civile ? L’élève est-il, dans son rapport avec son maître, comparable au citoyen dans ses rapports avec l’administration publique ?

Je pense que la réponse est non; mais pour pouvoir répondre non, il faut construire une théorie, et c’est ici qu’intervient le troisième concept.

Cela revient en réalité à se demander ce qu’est un élève et ce qu’est un maître. Cela revient à se demander pourquoi l’élève est inclus dans l’espace scolaire ?

Autrement dit, pour soutenir ce concept ultime de la laïcité, il faut démontrer qu’on ne va pas à l’école comme on se rend à la mairie ou à la perception, ou encore que l’école n’est pas un service. L’élève n’est pas du côté d’un guichet et le maître de l’autre. Pour définir le concept de laïcité scolaire, il ne suffit pas de s’en tenir à une forme juridique: il faut tenir compte de ce qui se fait à l’école, c’est à dire de l’instruction.

Pourquoi l’école devrait-elle être soustraite à la société civile ?

Voyons d’abord les raisons juridiques:

La première, c’est que l’école est obligatoire. Or, les élèves qui fréquentent l’école publique n’ont pas choisi leurs camarades, et c’est d’ailleurs à ce titre que l’école est un lieu d’intégration et d’égalité. Tolérer une manifestation religieuse de la part des unes, c’est l’imposer aux autres qui ne peuvent s’y soustraire. Quand quelqu’un arbore dans la rue ou dans le métro un signe religieux que je désavoue, cela ne peut me gêner en aucune manière: personne ne m’oblige à rester là. Mais les élèves sont astreints à la coprésence; ou alors il faudrait mettre ensemble ceux qui portent une croix et les séparer, faire la même chose avec ceux qui portent une kippa, avec celles qui portent un voile, etc …

Outre qu’on n’en n’aurait jamais fini, outre que cela revient à rejeter totalement celui qui n’affiche aucune croyance, cela porte un nom: la ségrégation. Ce serait transformer l’école publique en une multitude d’écoles privées particularistes, fondée sur le principe de la séparation entre les communautés. Donc, et pour qu’il n’y ait aucune ségrégation, il faut interdire le port des signes d’appartenance religieuse à l’école publique. La seconde raison juridique est que les élèves, pour la plupart, sont des mineurs, et que leur jugement n’est pas formé. Ceux qui prétendent qu’ils doivent bénéficier de la liberté dont jouissent les citoyens avancent une monstruosité. Ils supposent en effet que les élèves disposent d’une autonomie qu’ils n’ont pas encore conquise: on devrait donc leur asséner le poids de la liberté avant de leur en avoir donné la maîtrise, en supposant qu’ils trouvent spontanément en eux la force suffisante pour préserver cette autonomie.

Aucun homme de bon sens ne songerait à demander à un enfant une tâche au-dessus de ses forces: c’est pourtant ce que font les tenants de « la laïcité ouverte ». Les mêmes se plaignent d’ailleurs des programmes surchargés.

Mais ce n’est pas seulement pour des raisons juridiques que l’espace scolaire doit être soustrait à la société civile et à toutes ses fluctuations. L’examen de ce qui se fait à l’école renvoie non seulement à la question du savoir, mais aussi à celle de l’autorité. L’école n’est pas un espace où l’on s’instruit des raisons des choses, des raisons des discours, des raisons des actes et des raisons des pensées. On s’en instruit pour acquérir la force et la puissance, je veux dire celles qui permettent de se passer de guide et de maître. Du reste, il n’y a là de véritable force que celle-là qui permet d’échapper à la dépendance.